Alors que nous sommes appelés à voter pour le second tour de l'élection présidentielle qui oppose pour la deuxième fois E.Macron à M.Le Pen, l’expression Front Républicain a fait son grand retour dans le paysage politico-médiatique.
Cet appel à faire barrage au RN peut-il tenir lieu de principe de vote ?
Y a-t-il un sens à le qualifier de “vote responsable” ?
La responsabilité
👉 Être responsable signifie se reconnaître comme l’auteur de ses actes et être capable d’en répondre.
La philosophie existentialiste est une affirmation absolue du primat de la responsabilité humaine.
Sartre reprend à Heidegger la définition de l’homme en tant que “pro-jet” : l’existence humaine n’est en rien déterminée : il appartient à l’homme de la créer, de lui conférer son sens.
« L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il fait », écrit Sartre ; loin de préexister à son action, l’homme se définit au travers de ses actes, il en est le produit.
Une fois “jeté” dans le monde, l’homme se trouve plongé dans un état sans échappatoire, il est condamné “à être libre”, responsable de ses choix.
Se choisir
C’est dans la stricte mesure où nous pensons avant d’agir que nous pouvons être dits responsables.
Le choix authentique passe nécessairement par le prisme de la conscience humaine, qui ne s’appuie pas sur des valeurs préexistantes mais a pour effet de les produire.
Choisir c’est également se choisir, ce qui est lourd de signification :
“Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant, il choisit tous les hommes.”
Chacun de nos actes traduit notre propre conception de l’humanité et par là contribue à façonner ce qu’elle est.
Face à une telle charge, grande est pour l’homme la tentation de chercher à se dérober, à abdiquer sa liberté en tentant de se convaincre qu’il peut être exonéré de toute responsabilité.
👉 Cette attitude de fuite est ce que Sartre nomme dans L'être et le Néant “la mauvaise foi”.
En vue d’échapper à l’angoisse que suscite la responsabilité de choisir, nous préférons imputer des déterminismes à l’origine de nos actions, ou encore nous réfugier derrière le comportement commun, ce qui fait consensus, ce que Sartre nomme le “on”.
👉 Suivre la voie du “on” n’est pas synonyme d’engagement mais bien de renoncement : dépossession illusoire de sa propre responsabilité.
Là réside le caractère problématique du Front Républicain qui tendrait à nous faire croire que le vote responsable pourrait consister à se contenter d’obéir, en faisant l’économie du jugement et de la réflexion.
Chaque acte engage l’humanité toute entière
Hannah Arendt a souligné que l’être humain se caractérise par le fait de se savoir responsable, c'est-à-dire par sa capacité à suivre la voie que lui indique sa conscience.
En 1963, Arendt publie un ouvrage polémique intitulé Eichmann à Jérusalem, sous-titré La banalité du mal.
Relatant le procès d’Eichmann, l’un des acteurs de la Solution finale, la philosophe révèle toute l’étendue des implications de la responsabilité morale.
L’attitude d’Eichmann lors du procès alerte Hannah Arendt sur le caractère banal du mal : Eichmann déclare n’avoir été qu’un simple échelon au sein d’une hiérarchie, que le modeste serviteur d’un dessein supérieur qui lui échappait.
Il affirme que sa volonté n’était nullement de commettre le mal, qu’il n’avait aucun projet et s’est contenté d’appliquer les ordres.
Commettre le mal n’est pas essentiellement le fait d’individus monstrueux mais bien la conséquence de cette incapacité à se reconnaître comme étant l’auteur de ses actes. Arendt reprend l’idée kantienne que « c’est dans le vide de la pensée que naît le mal ».
Il n’est donc pas de devoir qui échappe à la nécessité d’être pensé.
Si la défense de principes supérieurs guide nos actions, elle ne doit en aucun cas se substituer à notre analyse du présent.
Et sans doute les plus grands drames de l’humanité auraient pu être évités si l’homme ne s’était pas rendu sourd à la voix de sa conscience pour se contenter d'exécuter.
👉 Nous avons une responsabilité morale à l’égard de nous-mêmes et des autres mais aussi, plus globalement, envers la marche du monde car nous y sommes irrémédiablement engagés.
Nous sommes ainsi tenus d’affronter la douloureuse épreuve du choix, qui se présente bien souvent sous la forme d’une alternative, dont aucune des deux possibilités ne nous satisfait pleinement.
Il nous faut maintenir la conscience vive que nous courons le risque d’être coupables dès lors que nous laissons les choix se faire sans notre intervention.
Le vote responsable est le produit du travail de la conscience et de la raison ; n'exprimant pas nécessairement une pensée à contre-courant, il se caractérise néanmoins par le refus de l’obéissance inconditionnelle.
Toute adhésion aveugle et irrationnelle nous masque le réel, nous prive de la conscience de notre responsabilité morale, seule susceptible de guérir le monde de ses maux.
« Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale*», telle est, me semble-t-il, la seule consigne pouvant tenir lieu de principe de vote.
(*Pascal, Les Pensées.)
Aurore de Béchade
Un von COGITO ERGO SUM en quelque sorte..
Mais oui c’est tellement absurde de refuser les debats de fonds en disant simplement qu’il faut fairebarage. Ce n’est pas constructif et cela laisse les électeurs que nous sommes totalement démunis : ce n’est pas très démocratique d’ailleurs.