Mathys Dupuis : « La majorité des viols, agressions sexuelles ou actes pédophiles touchent principalement des personnes handicapées. »
Entretien avec Mathys Dupuis
Interrogé par La Lanterne, Mathys Dupuis, membre de l’APHPP, revient sur l’impact des Jeux paralympiques et exprime son point de vue sur la politique française menée ces dernières années, en matière de handicap. Bien que cet événement ait suscité un nouvel espoir chez les personnes en situation de handicap, Mathys Dupuis estime qu’il reste encore beaucoup à faire pour améliorer leur quotidien et parvenir à leur pleine reconnaissance au sein de la société.
Mathys Dupuis a 23 ans, il est étudiant en Histoire à la Sorbonne. Militant engagé en faveur de la laïcité et de l’universalisme, il est référent pour la jeunesse et le monde universitaire de l’APHPP - une association qui défend la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées. Mathys Dupuis est particulièrement sensible à la question du handicap, étant lui-même atteint de handicap visuel depuis la naissance.
LA LANTERNE : Qu’avez-vous pensé de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques ?
Mathys Dupuis : J’attendais la tenue des Jeux paralympiques depuis longtemps ! Ces Jeux représentent une formidable opportunité pour les personnes en situation de handicap de créer des liens avec les personnes valides.
Cet événement contribue aussi à faire évoluer les mentalités en démontrant qu’une personne touchée par le handicap est capable de devenir un athlète à part entière, se distinguant par ses performances remarquables.
Le passage de relais entre les Jeux Olympiques et paralympiques, loin de se réduire à un simple protocole, avait également une signification très importante : à mes yeux, Florent Manaudou a rendu un véritable hommage aux athlètes paralympiques, leur montrant qu’ils étaient pleinement considérés et reconnus par le milieu du sport.
Par ailleurs, en assistant aux épreuves, j’ai pu constater que le parasport avait la capacité de rassembler un très large public.
Ces Jeux ont parfaitement rempli leur engagement d’offrir aux personnes en situation de handicap un nouvel espoir.
LA LANTERNE : Trouvez-vous satisfaisante la politique française menée ces dernières années en matière de handicap ?
Mathys Dupuis : Au cours des vingt dernières années, des progrès notables ont été réalisés en matière d’accessibilité et de politiques inclusives pour les personnes en situation de handicap.
Cependant, malgré ces avancées, ce qui a été accompli reste largement insuffisant et insatisfaisant pour les personnes handicapées et leurs familles.
L’accessibilité universelle, pourtant inscrite dans la loi depuis près de vingt ans, demeure un objectif encore lointain.
Les aides financières, comme l’Allocation Adulte Handicapé (AAH), restent trop faibles malgré une augmentation de 27 % au cours des sept dernières années. De nombreux handicapés vivent encore sous le seuil de pauvreté. À titre de comparaison, en tant qu’étudiant handicapé, je perçois l’AAH à taux plein ainsi que les bourses d’études au taux maximum. Malgré cela, vivre à Paris reste un défi économique majeur, et encore plus lorsqu’on est en situation de handicap.
Les universités, quant à elles, sont encore loin d’être prêtes à accueillir convenablement les étudiants handicapés. Elles sont souvent inaccessibles, leurs supports pédagogiques ne tiennent pas suffisamment compte des besoins spécifiques des étudiants handicapés, et les aménagements proposés sont souvent incomplets, voire non appliqués. Ce constat s’étend aussi aux écoles et aux entreprises, où les efforts restent largement en deçà des attentes et des besoins.
LA LANTERNE : Certains accusent aujourd’hui la société française d’exercer sur les handicapés des oppressions structurelles en raison de l’idéologie « validiste » - qui considère la normalité comme le fait d’être valide et présente les personnes handicapées comme inférieures - dont elle serait imprégnée. Qu’en pensez-vous ?
Mathys Dupuis : Je fais généralement preuve de davantage de nuance mais, oui, force est de reconnaître que nous vivons dans une société profondément validiste.
Ce qui nous rend handicapés, ce n’est pas tant notre maladie ou nos différences, mais plutôt le fait que le monde entier a été conçu par et pour des personnes valides, ignorant ainsi les besoins de 20 % de la population française, soit 12 millions de personnes.
Les discriminations à l’encontre des personnes handicapées sont omniprésentes. La majorité des viols, agressions sexuelles ou actes pédophiles - dont j'ai moi-même été victime - touchent principalement des personnes handicapées, et 77 % de ces actes sont commis sur des femmes ou des jeunes filles handicapées.
Pour illustrer ce validisme, je me souviens d’un professeur de mathématiques qui insultait ses élèves en les traitant d'autistes lorsqu'ils avaient du mal à comprendre le cours. En terminale, lorsque j’ai exprimé mon souhait d’étudier à la Sorbonne, ma professeur principale m’a regardé dans les yeux et m’a dit qu’elle ne me soutiendrait pas et que "ce n’était pas une question de notes" (j’avais alors 18 de moyenne en Histoire).
Je constate donc, à regret, que notre société est bel et bien validiste. Cependant, j'ai l'espoir que les choses changent car la nouvelle génération est plus ouverte d'esprit, et de nombreuses personnes valides sont à l’écoute et de bonne volonté.
Entretien réalisé par l’équipe de La Lanterne