RSF contre CNEWS : les bonnes manières d’informer
Pluralisme et indépendance de pensée en démocratie
Mardi 13 février, le Conseil d’État a décidé d’enjoindre l’ARCOM (anciennement CSA) à « réexaminer dans un délai de six mois le respect par la chaîne CNEWS de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information ».
Cette décision fait suite à la saisine de Reporters sans frontières accusant la chaîne du groupe Bolloré de “manquements à l'honnêteté, au pluralisme et à l'indépendance de l'information”.
👉 Pour veiller à la diffusion d’une information politique diversifiée, l’ARCOM, jusqu’alors chargée de décompter le temps de parole des représentants des différents partis politiques, devra désormais exercer un contrôle sur les chroniqueurs, animateurs et invités.
Il ne s’agira pas pour l’Autorité de régulation d’étendre ses méthodes quantitatives à ces intervenants mais bien plutôt - comme le rapporte Roch-Olivier Maistre, actuel président de l’ARCOM, dans son entretien à La Tribune - de formuler « une appréciation globale » par la mise en oeuvre « de règles » restant à définir.
👉 Cette affaire, diversement appelé “affaire CNEWS” ou “affaire ARCOM”, soulève non seulement la question de l’indépendance des médias et de la neutralité de l’information mais aussi celle de la compatibilité entre les moyens propres à garantir un pluralisme des courants de pensée et d’opinion, indispensable en démocratie, et le respect de la liberté d’expression - exigence démocratique non moins essentielle.
Illusions médiatiques
L’indépendance
Si, d’après le Conseil d’État, l’information se devrait d’être “indépendante”, il reste à savoir à l’égard de qui ou de quoi pourrait s’exercer cette indépendance.
Pour entrevoir le faisceau d’intérêts industriels, financiers et politiques dont dépendent les grands médias d’information, sans doute suffit-il de chercher les noms de leurs principaux actionnaires ; cette seule information inclinant à conclure que cette prétendue indépendance n’est qu’un leurre.
Quant aux médias dits alternatifs, présents sur internet, en grande partie sur les réseaux sociaux, ces derniers ne sont pas non plus exempts de partis pris idéologiques ni étrangers à la poursuite d’intérêts financiers.
La problématique ne serait donc pas tant celle d’une prétendue indépendance des médias, et par corollaire de l’information, que celle du caractère plus ou moins explicite des calculs et des présupposés qui les orientent.
C’est déjà ce que soulignait en 2017 le philosophe Michel Onfray dans un article intitulé Propaganda, publié dans l’ouvrage collectif Les médias sont-ils dangereux ?, conduit sous la direction d’Éric Fottorino.
« La presse n’est pas libre, ne l’a jamais été et ne le sera jamais : elle est subjective, idéologique et de parti pris. Elle défend une ligne qui est le Bien, puis elle attaque tout ce qui n’est pas cette ligne et le transforme en Mal », affirmait Michel Onfray, avant de s’attacher à distinguer la presse ostensiblement militante (de gauche comme de droite), qui ne cherche pas à masquer ses emballements et ses aversions passionnelles, de « la presque totalité des autres titres de la presse d’information qui ajoutent la dissimulation au parti pris. »
Si la première, s’avançant à visage découvert, conserve aux lecteurs ou aux spectateurs la possibilité d’observer un recul critique et ne compromet ainsi nullement la liberté d’opinion, la deuxième, qui représenterait la majeure partie des médias, joue dangereusement des apparences de la neutralité pour exercer son influence.
👉 À ce titre, il est intéressant de relever que pour soutenir dans l’espace médiatique sa double accusation à l’encontre de CNEWS de mise en péril du journalisme et de mise à l’épreuve de la démocratie, le directeur général de RSF référait à une étude portant sur le temps d’information purement factuelle comptabilisé sur la chaîne.
D’après les résultats de cette étude, seulement 13% sur la totalité du temps d’antenne relèverait de la présentation de faits bruts, le reste étant occupé par les débats, l’analyse et le commentaire de l’actualité.
Le fait brut

Une « information purement factuelle », qu’est-ce au juste ?
👉 La question mérite d’être posée si l’on songe à la multitude d’énoncés pouvant servir à la présentation d’un seul et même fait.
Par exemple, différents types d’assertions pourront servir à porter à la connaissance du public des heurts violents survenus lors d’une manifestation : nous apprendrons alors que “la police a dû faire usage de la force pour contenir les manifestants”, ou bien que “des affrontements violents entre policiers et manifestants sont survenus lors de la manifestation”, ou encore que “de nombreux manifestants ont une fois encore été victimes de violences policières”.
Un même fait, que confirmeront images et témoignages rigoureusement choisis. Un même fait, des appréciations contradictoires de la réalité.
Le fait brut, un spécimen rare que l’expérience ne nous donne guère à observer.
Toujours selon Christophe Deloire, ce temps consacré au commentaire de l’actualité - par les chroniqueurs et les invités - mettrait en péril le journalisme. Argument pour le