Un livre à la Une | Pêcheur de perles, d'Alain Finkielkraut
La citation, cette incitation à penser
Dans Un livre à la Une, je vous recommande la lecture d’ouvrages récemment publiés ou sélectionnés parmi les plus grands textes des auteurs anciens.
Aujourd’hui, j’attire votre attention sur Pêcheur de perles, le dernier essai d’Alain Finkielkraut, publié chez Gallimard.
Cette recommandation est spontanée, et non sponsorisée !
Pêcheur de perles
« Walter Benjamin collectionnait amoureusement les citations.
Dans la magnifique étude qu'elle lui a consacrée, Hannah Arendt compare ce penseur inclassable à un pêcheur de perles qui va au fond des mers « pour en arracher le riche et l'étrange ».
Subjugué par cette image, je me suis plongé dans les carnets de citations que j'accumule pieusement depuis plusieurs décennies. J'ai tiré de ce vagabondage les phrases qui me font signe, qui m'ouvrent la voie, qui désentravent mon intelligence de la vie et du monde. Et plutôt que de les mettre au service d'une thèse ou d'une démonstration, je me suis laissé guider par elles, sans idée préconçue. »
C’est ainsi qu’Alain Finkielkraut introduit aux lecteurs son nouvel essai.
👉 L’usage de la citation dans Pêcheur de perles s’oppose à tous égards à la tendance du prêt-à-penser qui se répand depuis quelques années déjà sur les réseaux sociaux par la publication intempestive de citations destinées à accrocher le regard à la manière de slogans publicitaires.
👉 L’ouvrage d’Alain Finkielkraut n’est pas non plus un archétype de ce que l’on nomme la prosopopée - ce procédé rhétorique consistant à tenter d'asseoir la légitimité ou la véracité d’un discours par des citations empruntées à de grands auteurs ou à d’éminentes figures, et dont usent abondamment nombre de personnalités publiques.
« Ces phrases n'étaient pas pour moi des ornements, mais des offrandes. Elles ne décoraient pas la pensée, elles la déclenchaient; elles ne l'illustraient pas, elles la tiraient du sommeil », précise Alain Finkielkraut, et c’est ce point de départ qui confère à l'essai toute sa dimension : si la citation paraît à elle seule exprimer une vérité dans toute sa profondeur et son épaisseur, elle est d’abord incitation à penser et, sans doute, ce que révèle son examen est moins la plénitude d’un sens qui serait déjà donné que la multiplicité des voies qu’elle permet à la réflexion d’emprunter.
« La pensée n’est rien sans quelque chose qui force à penser, qui fait violence à la pensée » écrivait Deleuze, s’appuyant sur l’expérience fondamentale de la pensée créatrice dans l’oeuvre de Proust ; pensée surgissant sur le mode involontaire, articulée sous l’impulsion d’un signe, sollicitée par ce qui excède le savoir du sujet lui-même comme le savoir de son objet.
Du bon usage des citations
« {...} Mais c'est peu de dire que les leçons de la philosophie sont éternelles; il faut ajouter qu'on ne les entend pas toujours quand elles sont prononcées et qu'il est des paroles, d'abord indistinctes, qui ne s'articulent qu'après bien des siècles.
Le monde redécouvre aujourd'hui ce que les Grecs soupçonnaient il y a plus de deux mille ans que les « grands mots » provoquent les « grands malheurs » ; que l'homme, cette chose « étrange » entre toutes, n'est pas ce qui doit être dépassé, mais préservé, et d'abord contre lui-même; que le surhumain est ce qui ressemble le plus à l'inhumain; que le bien peut être l'ennemi du meilleur ; que le rationnel n'est pas toujours raisonnable et que la tentation de l'absolu {...} est la source toujours renaissante du malheur de l'homme », écrit Pierre Aubenque dans son remarquable essai La prudence chez Aristote.
👉 Certainement, tout a déjà été dit, déjà écrit, mais il est à supposer que les implications des grandes vérités mises à jour hier n’aient pas encore été pleinement dévoilées. La parole des Anciens comme les témoignages d’époques révolues conservent tout leur pouvoir de révélation.
Le consentement à se laisser guider par la voix des absents pour se rapporter au présent porte en creux la faveur de tirer du passé ces leçons incomprises ou non encore explicitées.
👉 Dès lors que le recours aux citations ne s’apparente pas à une simple mise au goût du jour ou à un plaquage arbitraire sur l’actualité de grandes sentences ou de bons